
La zone d’Intahaka, dans la région de Gao, connaît un niveau de tension inégalé, après que le commandant du théâtre Est de l’opération Dogokoloko dans l’armée malienne a lancé ce vendredi un avertissement solennel aux prospecteurs travaillant dans la mine d’or, leur enjoignant de quitter le site « immédiatement ».
Le commandant militaire a affirmé que la mine avait été « officiellement attribuée » à la société SOREM Mali S.A., signalant que toute présence non autorisée à partir d’aujourd’hui serait considérée comme une « activité illégale exposant ses auteurs à des sanctions et à des poursuites ».
L’avertissement lancé depuis Gao s’inscrit dans une série de mesures sur le terrain visant, selon Bamako, à « faire régner l’ordre dans le secteur minier » après une expansion sans précédent des activités artisanales non régulées de prospecteurs locaux et étrangers.
Toutefois, cette décision a suscité la colère du Front de libération de l’Azawad (FLA), qui l’a qualifiée de décision « illégitime » et de nouvelle étape de « pillages » des richesses de la région au profit du régime militaire et de ses alliés russes.
Position du Front de libération de l’Azawad (FLA)
Dans une déclaration ferme datée du 15 octobre 2025, le FLA a rejeté « avec la plus grande sévérité » La décision « illégale » prise par le régime militaire à Bamako, consistant à accorder à la société SOREM Mali S.A. le droit d’exploiter la mine d’Intahaka.
Le Front estime que ce qui se produit s’inscrit dans une politique systématique de pillage des ressources de l’Azawad, menée depuis des années sans mandat légitime ni consentement du peuple azawadien.
La déclaration ajoute que toute entreprise ou entité étrangère s’engageant dans une activité économique ou minière dans l’Azawad « sur la base de licences délivrées par le régime répressif malien » en assumera l’entière responsabilité des conséquences de ses actes.
Le Front affirme que les richesses de l’Azawad sont la propriété exclusive du peuple azawadien et ne seront exploitées que conformément à un accord juste et équitable dans lequel les Azawadiens sont les principaux décideurs et bénéficiaires, lorsque le régime « terroriste » à Bamako aura disparu.
Il insiste également sur le fait que le mouvement « défendra par tous les moyens légitimes les ressources de la région et les droits vitaux de son peuple » contre toute forme de pillage ou de collaboration économique avec le conseil militaire.
L’avertissement malien et la justification militaire
Le 14 octobre 2025, le général Mamadou Massaoulé Smaki, commandant du théâtre Est de l’opération Dogokoloko, a tenu une conférence de presse dans le camp de Verhon Ag Alensar à Gao, au cours de laquelle il a annoncé de nouvelles mesures strictes pour réguler les activités minières dans la zone d’Intahaka (dans la circonscription de Tilett).
Il a précisé que toutes les opérations minières non autorisées étaient désormais « strictement interdites », accordant aux prospecteurs jusqu’au 22 octobre pour régulariser leur situation juridique auprès des autorités compétentes.
Dans ses propos, Smaki a déclaré :
« L’État ne tolérera pas le chaos entourant l’exploitation de ses ressources. Le dynamitage illégal menace la sécurité, l’environnement et les moyens de subsistance de nos communautés. »
Il a ajouté que « c’est la responsabilité de tous de faire preuve de sérieux pour garantir une exploitation organisée et durable des ressources nationales », avertissant que les contrevenants s’exposeraient à des sanctions sévères, y compris la confiscation et des poursuites judiciaires.
La mine d’Intahaka… cœur du conflit économique et politique
La mine d’Intahaka est l’un des sites d’extraction aurifère les plus importants de l’Azawad. Elle a été découverte entre 2020 et 2021 par des prospecteurs locaux dans la région de Gao, avant de devenir une destination régionale pour les chercheurs d’or venus du Soudan, du Tchad, du Niger et du Nigeria.
Le site a connu une explosion de production, certains prospecteurs parvenant à gagner des dizaines de milliers de dollars chaque mois, grâce à la hausse des prix de l’or sur le marché mondial.
Entre 2022 et 2023, le Cadre stratégique permanent, réunissant plusieurs mouvements azawadiens, assurait la protection du site. Lorsque l’accord de cessez-le-feu avec Bamako s’est effondré, ces forces se sont retirées, permettant à terme aux combattants du groupe JNIM et aux milices pro-régime du général AlHaji Gamo de partager le contrôle du site.
En avril 2024, un détachement de Wagner (la force russe) est intervenu par voie aérienne et a demandé à Gamo de quitter la mine dans un délai de 24 heures, ce qui a provoqué d’importantes tensions au sein du camp militaire. Après la résolution de cette crise, un arrangement a été trouvé : la gestion de la mine a été partagée entre Gamo et Ansar, imposant impôts et redevances aux prospecteurs locaux.
Le Front : la mine comme instrument de financement des mercenaires russes
Selon des sources azawadiennes, la décision de Bamako d’attribuer la mine à la société SOREM Mali S.A. cache un objectif non déclaré : sécuriser des ressources financières pour les forces mercenaires de Wagner / le corps africain, sans alourdir directement le budget de l’État, compte tenu du coût élevé de leurs opérations militaires.
Le FLA considère cette mesure comme « une vente ouverte des richesses de l’Azawad sur le marché de l’ingérence étrangère », et qu’elle pourrait déclencher une nouvelle confrontation au nord, surtout si des milliers de prospecteurs refusent de quitter leurs sites.
Répercussions humanitaires et sécuritaires
On s’attend à ce que l’avertissement militaire déclenche un exode massif de prospecteurs, estimés à des milliers, venus de l’Azawad et d’ailleurs.
Des observateurs mettent en garde contre le risque de violences lors d’une évacuation forcée, particulièrement avec certaines factions déjà menaçant de rester sur place et de défendre leurs sources de revenus.
Ils craignent également que la fermeture de la mine n’entraîne une montée du chômage, la détérioration de la sécurité, le retour des activités de contrebande, la multiplication des barrages routiers et l’essor du crime organisé dans la région.
L’or, entre souveraineté et exploitation
Pour les analystes, la bataille d’Intahaka dépasse le simple conflit autour d’une ressource naturelle : c’est une lutte pour le pouvoir et la souveraineté en Azawad.
D’un côté, Bamako affirme que « l’État seul détient la légitimité pour gérer les ressources nationales » ; de l’autre, le FLA soutient que la richesse ne peut être dissociée de l’identité et de la souveraineté locale.
Entre accusations de pillage et tentatives de régulation, la mine d’Intahaka reste un symbole fort d’un conflit prolongé dépassant la géographie…
Une lutte pour savoir qui détient le pouvoir sur la terre de l’or.