
Le Sahel, bascule dans l’anarchie et le chaos, inexorablement. Ceux qui en ont pris la direction, par la force des armes, ne sont pas à la hauteur des enjeux ni ne se montrent aptes à relever des défis ardus notamment d’ordre sécuritaire et existentiel. Le pronostic vital de toute une région est engagé. Malgré une situation très alarmante , presque désespérée, il n’y a toujours pas de sursaut ni prise de conscience individuelle et collective. Dans ces conditions, le silence n’est pas une option. Le mensonge d’Etat et la manipulation des opinions publiques et des consciences populaires, deviennent des crimes ou s’apparentent à une complicité coupable.
Le Niger, le Mali, le Burkina Faso ploient sous le poids écrasant d’une insécurité épineuse. Ces Etats, leurs armées, leurs institutions, sont à l’article de la mort. Les faits sont têtus et suscitent de profondes inquiétudes car laissent présager des lendemains incertains.
Les juntes qui ont fait irruption dans les palais présidentiels, continuent de se voiler la face et de faire la sourde oreille. Chantres auto-proclamés d’un nationalisme sourcilleux, les putschistes s’enlisent dans la propagande et le déni pathologiques. Une posture utopique car la réalité est désormais connue de tous et s’impose à chacun : des corps sans vie compilés, des bases militaires pillées, des populations assiégées.
En somme, le Sahel est de nos jours ingouvernable à cause de l’emprise sur ce vaste territoire des groupes armés terrorristes au faîte de leur puissance.
Eknewan : un carnage sans surprise et source d’indignation
Le 25 mai 2025, à l’aube, la base militaire d’Eknewan , dans la commune de Tillia ( région de Tahoua, Niger), a été rayée de la carte par une attaque de l’Etat Islamique au Grand Sahel ( EIGS). Le bilan est lourd et accablant : une cinquantaine de soldats tués, parmi lesquels le commandant de la base, tombé, les armes à la main. 10 éléments sont portés disparus. 9 véhicules ont été calcinés. Les assaillants ont occupé la réserve militaire, trois heures durant, non sans avoir organisé un pillage systématique.
31 dépouilles parmi les victimes ont été transférées à Tilia le dimanche 25 mai, avant d’être conduites à Tahoua où il sera procédé aux inhumations. Les autres corps mutilés, décomposés meconnaissables au-delà de tout entendement, ont dû être ensevellis sur place. Des scènes d’horreur qui témoignent de la cruauté et de la violence inouïe de l’assaut très meurtrier.
Un témoin oculaire, confirme l’ampleur de la tragédie : ” il est impossible d’identifier les corps dans un état affreux. Rien que du sang et de la chair comme uniques traces des êtres perdus”.
Le drame survenu, ne doit rien au hasard ni ne relève de la fatalité. La thèse de l’accident est à écarter d’un revers de main. Dix jours plus tôt, un message explicite de l’EIGS, avait été adressé aux responsables de la base pour les mettre en garde : ” Nous allons attaquer. Quittez les lieux.”
Les renseignements disponibles indiquaient une menace claire et précise.
Pourtant, aucune mesure d’anticipation, aucune précaution, aucun déploiement de forces, aucune disposition pratique de l’état major n’ont été envisagés ni entrepris. Il n’y a pas eu non plus de dispositif de surveillance avec un survol de drones ni des troupes de renfort.
Toutes ces failles et négligences criardes ont été exploitées par l’ennemi pour planifier et mener son attaque d’envergure et spectaculaire.
Pendant que la junte se vautre à Niamey dans les délices du pouvoir, ses soldats tombent au front, meurent à Tilia par dizaines, voire centaines.
Drones kamikazes : le djihadisme passe à la vitesse supérieure
Pour la première fois dans les annales du conflit sahelien, l’EIGS, a eu recours à des drones kamikazes. C’est une escalade dans la guerre et une évolution inquiétante dans le mode opératoire des groupes armés terrorristes qui semblent s’orienter de plus en plus vers les moyens technologiques pour mener leurs opérations.
Ces engins, de fabrication artisanale ou importés ont ciblé des véhicules blindés, les dépôts de munitions, et les postes de commandement. Il s’ensuivit un mouvement de panique. Le système de défense s’en est trouvé désorganisé avant l’assaut terrestre. Les choses prennent une nouvelle tournure, très préoccupante : le combat asymétrique entre dans une autre dimension avec le renforcement des capacités de frappe des djihadistes. L’armée nigérienne, à bout de souffle et de nerfs, n’a rien vu venir et n’a pas été capable de réaction appropriée.
Pourquoi, il n’y a pas eu de mesures pour prévenir, à défaut, contenir la menace ?
Qu’en est-il du système d’alerte et de détection ?
La garde pretorienne du Général Tiani , cloîtré dans sa forteresse , afin de se prémunir de tout risque, semble avoir la part belle, concentrant dans ses mains tous les moyens dont dispose le pays pour assurer sa sécurité et la protection de ses populations.
La vie de Tiani vaut plus que celle de tous les Nigeriens, passe aussi avant celle des soldats abandonnés sur les champs de bataille.
Une armée, à deux vitesses : les FAN, combattent, la garde nationale déserte .
Sur le lieu de l’attaque, il y avait 14 véhicules, appartenant aux forces spéciales de Tilia, unité des forces armées nigériennes ( FAN). D’autres engins aussi affectés au groupement d’intervention spéciale ( GIS), l’unité d’élite de la garde nationale dont on ne connaît pas le nombre exact étaient aussi stationnés. Les FAN dirigées par leur commandant, ont tenu bon et opposé une résistance héroïque face à une attaque d’une brutalité extrême. Après des combats acharnés, 7 véhicules ont réussi à se replier avec leurs équipages.
En revanche, le groupement d’intervention spécial ( GIS), dès que les premiers tirs ont retenti, s’est retiré sans livré bataille. Aucun blessé, aucun soldat tué. Il n’y a pas eu d’échanges de tirs avec les assaillants. Un acte de désertion très dégradant pour l’uniforme et indigne de soldats qui ont prêté serment de servir la patrie au peril de leurs vies.
Personne ne peut dire de combien de véhicules disposait le GIS, par contre, on sait qu’aucun n’a été impliqué dans les combats.
A Tilia, la tension est à son comble. Les survivants parmi les FAN accusent la garde nationale d’avoir baissé les armes qualifiant ses éléments de ” fuyards protégés”. La garde, elle, se défend, en considérant qu’elle ne peut servir de ” chair à canon”, n’étant pas équipée , ni assurée d’aucun renfort. Les faits, departagent les parties : les morts ont été enregistrés dans les rangs des FAN qui ne se sont pas dérobés des combats tandis que le GIS s’en sort sain et sauf, n’ayant pas voulu courir le risque d’affronter un ennemi mortel.
Les frictions dans l’armée révèlent les dysfonctionnements au sein de la chaîne de commandement militaire incapable de fédérer les troupes.
Tilia et Dosso : des régions livrées aux groupes armés
Tilia n’est que la face visible de l’iceberg. Toute la sphère régionale, est désormais un sanctuaire pour les groupes armés où l’Etat nigerien n’ose plus poser les pieds. Entre 2021 et 2023, plus de 200 soldats y ont été tués dans des attaques de grande ampleur. Le 18 septembre 2024, 38 militaires avaient déjà péri à Eknewan. On ne semble jamais tirer les leçons de chaque expérience dramatique.
Les populations vivent sous la tutelle des djihadistes qui arrivent à s’implanter et dicter leurs lois face à un Etat inexistant et démissionnaire.
La région de Dosso , jadis, considérée comme ” stable”, est elle aussi hors de contrôle. Le 23 mai 2025, à Tanda ( Gaya), une patrouille des forces de défense et de sécurité ( FDS), a été piégée à l’aide d’un engin explosif : 6 soldats tués, un véhicule détruit.
Le pipeline Niger-Bénin, vital pour l’économie nigérienne, est menacé, en permanence.
L’insécurité ne cesse de gagner du terrain. Et, pour cause, ce sont des généraux fainéants et épicuriens, portés sur l’enrichissement personnel, rapide et illicite qui s’improvisent chefs d’Etat ayant échoué à être des chefs de guerre victorieux.
Hommage au commandant d’Eknewan, mort en martyr
Alors que de nombreux officiers et plusieurs soldats abandonnent le front et fuient la guerre, le commandant de la base d’Eknewan, s’est distingué par son courage et son héroïsme. Contrairement à Tiani et à la garde nationale, il est mort pour la patrie, sur le champ d’honneur. Il a combattu jusqu’à son dernier souffle, défendant sa position avec détermination et un sens élevé du devoir et du patriotisme. Une attitude noble conforme au code d’honneur militaire et au serment d’officier. Dans un contexte de sauve qui peut et de renoncement, l’acte de bravoure mérite d’être souligné et salué avec respect et admiration. La nation reconnaissante le retiendra, la mémoire collective saura s’en souvenir.
Ceux qui ont trahi la nation, refusent de donner leurs vies pour elle comme l’exigent leurs missions sacerdotales, se sont disqualifiés et se destinent au déshonneur. Ceux qui s’accrochent au pouvoir au détriment du pays et pour le malheur des populations sont appelés, tôt ou tard, à rendre des comptes à l’histoire, face à leur conscience, devant le peuple qui a toujours le dernier mot.
Mali : un Etat incapable de protéger ses propres agents
Le chaos déborde des frontières nigériennes .
Au Mali, le 24 mai 2025, une équipe de santé publique du district de Nioro, au Sahel, a été enlevée sur l’axe Kayes-Sandare. Les victimes : le médecin chef du District, le responsable du développement social, le chef de la promotion de la femme, de l’enfance et de la famille, leur chauffeur. Des agents de l’Etat, en mission officielle, kidnappés, sans la moindre réaction des autorités publiques, c’est surréaliste.
Simultanément, deux attaques ont frappé la région de Mopti à Kéké et Boundouré. Il n’y a plus d’endroits sacrés et inviolables, plus de lieux sûrs et protégés, plus de distinction entre front et arrière. L’Etat du Mali comme celui du voisin nigerien n’existe plus que de nom sans colonne vertébrale ni pouvoir de coercition.
Les régimes militaires à Niamey, Bamako et Ouagadougou, se sont prévalus de restaurer l’autorité de l’Etat et de mettre fin au règne barbare des terrorristes. Ils se sont faits les apôtres de la souveraineté recouvrée, de l’indépendance retrouvée. Ils ont joué sur la fibre nationaliste et le désir d’émancipation de leurs peuples. Bref, l’on a tiré sur les cordes sensibles. La montagne a accouché d’une souris plutôt les promesses se sont soldées par un fiasco général et ruineux. Les armées sont disloquées, demobilisées et decouragées. Des armes, munitions, blindés…abandonnées par les troupes lors de leur cavale ou saisis à l’occasion de batailles perdues alimentent les terrorristes. Pendant que les soldats meurent, bêtement, au front, les généraux, s’enrichissent, garnissent leurs comptes à l’étranger où ils font d’importants investissements aussi.
La souveraineté n’est qu’un alibi pour règner dans l’opacité et sans partage en pillant les ressources nationales.
Au Niger, singulièrement, le Général Tiani, à lui seul, résume les tares et maléfices des juntes. Il vit dans la réclusion totale, protégé par des blindés confisqués aux troupes. Il n’a aucun fait d’armes à son actif. Il se terre, incapable de se rendre au chevet des soldats, de conduire une guerre avec succès, même d’envoyer un message de compassion, de soutien et de solidarité aux troupes. Le Général Tiani est un chef d’Etat fantôme, une ombre fugitive. Il se console dans la capitale Niamey avec des spots grandiloquents qui laissent croire que le moral de l’armée est au beau fixe et qu’elle engrange des victoires, sorties tout droit de l’imagination de la junte.
Quand le mensonge et la manipulation sont érigées en religion d’Etat comme c’est le cas au sein de la famélique AES, c’est dans le fol espoir d’en faire l’opium du peuple. Mais chacun sait que les paradis artificiels entretiennent l’illusion du bonheur un moment avant de conduire dans l’enfer pour longtemps.
Au Sahel, au paradis promis succède un enfer subi par tous. Les peuples ne peuvent survivre dans la peur et la résignation. Le monde ne peut continuer à détourner le regard.
A chacun de prendre ses responsabilités avant que le point de non retour ne soit franchi avec toutes les limites déjà dépassées.
Samir Moussa